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le premier jour
Sam Fahey, ancien champion de surf, a passé plusieurs années en prison, s'est racheté une conduite et mène désormais une vie recluse et solitaire à Tijuana Straits, bout de terre coincé entre les Etats-Unis et le Mexique. Cette vie paisible, qu'il consacre à l'élevage de lombrics, vole en éclats le jour où il sauve la vie d'une jeune Mexicaine, Magdalena : activiste en lutte contre les exactions d'entreprises nord-américaines qui bafouent les droits des travailleurs mexicains et polluent sans vergogne l'air et les rivières, elle est la cible d'impitoyables tueurs à gages. La voici qui entra?ne Sam dans son combat contre ces maquiladoras et ceux qui veulent sa peau. De quoi réveiller les vieux démons de Sam, mais lui permettre aussi de solder ses comptes avec son passé. Non content de réussir un thriller aux rebondissements multiples, Kem Nunn signe un grand roman américain qui dessine un portrait édifiant de la frontière et de ses laissés-pour-compte. Le meilleur polar des dix meilleurs !
Kem Nunn est né en 1948 en Californie, où il vit toujours, à Orange County, et s'est fait un nom dans la communauté du surf dont il est devenu l'écrivain attitré. En témoignent ses polars qualifiés de "surf noir", La reine de Pomona (1993), Surf City (1995) et Le sabot du diable (2004). Les thèmes de l'écologie, des magouilles politiques, de l'Amérique et ses mythes perdus y sont également récurrents. Son style à la fois lyrique et hyperréaliste rappelle l'univers de Jim Harrison, et ses personnages, sympathiques, souvent en quête de rédemption, font penser à ceux d'un Chandler ou d'un Hemingway.
La femme surgit au petit jour, silhouette de l'Apocalypse qui peinait à franchir les dunes. Fahey la vit depuis la plage. Une meute de chiens sauvages écumait la vallée, et Fahey les pourchassait depuis près de trois jours, en vain. Pour compliquer encore les choses, il avait essayé de bosser sous méthamphétamine et ?a ne l'avait pas aidé. Il se disait que ?a n'avait peut-être pas été l'idée du siècle d'en avoir acheté à un gosse qui avait la tête en forme de cacahuète et un anneau dans le nez sur le parking du 7-Eleven de Palm Avenue. Il regarda la silhouette franchir le sommet d'une dune puis dispara?tre, encore trop éloignée pour qu'il puisse être s?r qu'il s'agissait d'une femme. Depuis la plage, elle ne semblait guère plus qu'une trouée dans l'aube, une forme noire et anguleuse contre la lumière jaune et ténue qui commen?ait tout juste à s'infiltrer du sommet du Cerro Colorado, du c?té mexicain de la barrière qui coupait la vallée en deux, et Fahey la prit pour un de ces clandestins paumés qui se tra?nent vers la rivière où souvent ils connaissent le bout du voyage. Peut-être l'effarement la ferait-elle pleurer lorsqu'elle découvrirait ses rives,ray ban brillen, ou bien se noierait-elle dans ses eaux toxiques. Dans l'un ou l'autre cas, il ne pourrait pas faire grand-chose car il avait accepté de se charger de la protection de certains oiseaux migrateurs, notamment le pluvier neigeux d'Occident et le r?le au pied léger, et s'occuper du clandestin omniprésent n'entrait pas dans ses attributions. Cependant, le matin en question, Fahey sentit son intransigeance se mêler d'un certain soulagement. Il crut qu'il serait réconfortant de partager l'aube avec quelqu'un dont les perspectives étaient au moins aussi pourries que les siennes.
Comme pour lui donner la réplique, le coeur de Fahey se remit à cogner de fa?on incongrue. Un peu plus t?t, quand il était devenu évident que le cristal bon marché n'allait pas lui faire de bien,lunette carrera, il avait envisagé de chercher de l'aide. Mais l'idée de se présenter aux urgences de San Ysidro et de devoir subir toutes les scènes d'humiliation qui ne manqueraient pas de suivre lui avait paru si terrifiante qu'il y avait aussit?t renoncé. On aurait quand même pu espérer autre chose de quelqu'un de l'?ge de Fahey. Mais on aurait été dé?u.
Fahey chassa l'intruse de son esprit et s'agenouilla pour examiner les traces. A sa grande déception, les empreintes formaient des losanges et étaient espacées de telle sorte qu'elles évoquaient le pas court et régulier des coyotes et non celui des chiens. Des traces de chiens auraient été plus arrondies et écartées les unes des autres. Et il y en aurait eu davantage. La meute que Fahey pistait comptait quatre chiens. Il estima que ces empreintes-ci n'avaient pas été laissées par plus de deux bêtes. Il se releva en vacillant sur le sable meuble. Il avait repéré les traces depuis l'autre rive, à la lueur de ses phares, et avait fait tout le tour pour venir les étudier de plus près, avan?ant au ralenti dans l'obscurité dense de la vallée millénaire avant le lever du jour,occhiali carrera, son embrayage commen?ant à fumer sous les efforts du camion pour traverser la longue plage voisine de l'estuaire. Fahey contempla les traces qui prenaient la direction des dunes avant de se perdre dans la pénombre. Il se considérait comme un pisteur compétent. Le fait qu'il ait passé près d'une semaine à poursuivre ces quatre chiens ne témoignait pas d'une parfaite lucidité ni, si l'on suivait cette logique, n'augurait rien de bon pour l'avenir.
Il retourna à son pick-up garé tout près, un vieux Toyota de 1981 qui avait presque la moitié de son ?ge et avait pris une teinte indéterminée. L'arrière n'était qu'un fouillis d'outils en mauvais état, de pièges, filets et b?tons en tout genre, vestiges d'une époque où ce genre de virée était ce qu'il faisait pour gagner sa vie. Sa méthode de prédilection pour gérer les bêtes sauvages avait toujours été de les prendre au piège, et il avait espéré pouvoir attraper les chiens de cette fa?on. Il avait donc posé une vingtaine de cages et une demi-douzaine de pièges à patte. Ces pièges étaient, à proprement parler, illégaux dans l'Etat de Californie, mais Fahey ne craignait pas vraiment les plaintes. Ces chiens étaient particulièrement vicieux et il ne se souvenait pas d'en avoir déjà vu de pareils. Ils avaient déjà attaqué un garde-frontières et éliminé une douzaine de nids de petites sternes. Ils avaient aussi tué une vieille femelle coyote qui s'était laissé prendre dans un de ces pièges illégaux.
Fahey prit une bouteille d'eau dans la glacière qui se trouvait près du hayon, à l'arrière de son pick-up. La drogue lui avait laissé la bouche sèche comme de l'amadou. Il ouvrit la bouteille et se désaltéra. Les lumières d'Imperial Beach scintillaient encore dans son dos, au-dessus des herbes du grand estuaire d'eau salée qui formait l'angle nord-ouest de la vallée. Devant lui,sac longchamp pliage pas cher, au-delà d'un vaste espace baptisé Border Field State Park, se dressaient les falaises sombres des mesas* mexicaines, les lumières de Las Playas de Tijuana et la grande paroi courbe des arènes de Tijuana qui, songea-t-il, auraient pu passer dans l'atmosphère humide de la c?te pour le vaisseau mère d'une race extraterrestre dominatrice posé là pour surveiller ses conquêtes. Le plus gros de la vallée, encore plongé dans l'ombre, s'étendait à l'est tandis qu'à l'ouest le Pacifique rugissant commen?ait à s'enflammer sous les premiers rayons du soleil. Fahey regarda la mer. Il s'était remis à penser au coyote qu'il avait piégé et s'effor?ait de se concentrer sur autre chose. Il fixa son attention sur la houle lisse derrière les déferlantes et ses lignes d'eaux blanches et tumultueuses qui s'abattaient vers le sud, en direction de la barrière et des plages au-delà. L'animal avait essayé sans succès de se ronger la patte pour échapper à son destin. Cherchant à chasser cette image de son esprit, Fahey s'accrocha à la recommandation de Mère Maybelle Carter, qui exhortait les amateurs de country à regarder le bon c?té des choses avec son Keep on the Sunny Side. Malheureusement, son regard dériva vers le sud, vers les mesas et leurs canyons ensanglantés.
Putain de Mexique. Pour certains, ce n'était encore qu'une portion de Far West peuplée de cow-boys et de prostituées. Pour Fahey, c'était un tumulte insondable de peur et de perversité,gafas carrera, source d'histoires barbares dont aucune n'égalait la sienne en injustice. Bien entendu, la perception que Fahey avait de ce pays remontait à sa jeunesse, au lycée et à l'Island Express, une époque où son expérience lui avait appris qu'il ne se passait que de mauvaises choses au sud de la frontière. D'autres expériences lui avaient par la suite enseigné qu'il ne se passait que de mauvaises choses à peu près partout. Quoi qu'il en soit, il paraissait toujours plus terrifiant d'être dans la merde dans une langue étrangère, aussi s'en tenait-il à son c?té de la vallée,carrera outlet, aussi familière à présent que le visage d'un être aimé, même si, en fait, il y avait un bout de temps que Fahey n'aimait plus personne. Il avait fini par arriver à la conclusion que les amours étaient comme le Mexique lui-même, guère plus que des instruments de torture. Mieux valait rester seul, de son c?té de la barrière, là où au moins, se disait-il, on pouvait entendre les choses venir.
Il remit la bouteille dans la glacière à l'arrière du pick-up et saisit du regard le ciel qui prenait couleur, épais voile de brouillard qui virait au rouge sombre au-dessus des collines mexicaines. Les chiens qu'il pistait venaient de là-bas, du fond des canyons. Il ne les avait aper?us qu'une fois, le premier jour, qui traversaient en file indienne le sommet de Spooner's Mesa,carrera brillen, trois b?tards de pitbulls et un border collie. Il avait posé ses pièges le soir même et découvert le coyote le lendemain. Il n'avait pas revu les chiens depuis, rien d'autre que des traces dans le sable, et, depuis ces dernières vingt-quatre heures, même celles-ci lui échappaient. Un peu plus t?t dans la semaine, quand Bill Daniels, du département des Eaux et Forêts, était venu le voir au mobile home pour lui demander s'il accepterait de traquer des chiens nuisibles pour leur compte - le genre de mission qu'il faisait avant que ce boulot ne devienne fédéral, et n'exclue les repris de justice et les trafiquants de drogue -, il avait accepté parce qu'il avait besoin de fric. Mais,oakley pas cher, depuis quatre jours, la situation avait changé. Peut-être était-ce à cause de la vieille femelle coyote à moitié dévorée, coincée par le piège à patte qu'il avait lui-même posé. Pour Fahey, cette traque était devenue personnelle.
Il s'apprêtait à remonter dans le Toyota pour repartir quand des oiseaux - trop petits pour être autre chose que des pluviers neigeux - décollèrent soudain du sable, près du pied des dunes, et battirent l'air en cercles affolés. Il n'avait pas entendu parler de prélèvements aussi avancés au nord de la plage, aussi se rendit-il jusqu'au sable mouillé pour suivre le rivage en espérant avoir une meilleure vue des nids et comprendre ce qui avait pu effrayer les oiseaux. C'est alors que, à sa grande consternation, le clandestin paumé qu'il avait complètement oublié réapparut, à moins de cinquante mètres de là où lui-même se tenait.
Il voyait bien maintenant qu'il s'agissait d'une femme. Sa masse de cheveux noirs soulevée par les vents de terre flottait comme un drapeau en direction de l'océan. Fahey vit avec horreur la femme lever la main et marcher vers lui, tra?ant un chemin qui conduirait directement à la partie de la plage d'où s'étaient envolés les oiseaux. Fahey leva les deux bras et fit mine de repousser l'intruse, lui ordonnant ainsi, dans ce qu'il estimait être un langage des signes universel, de s'arrêter et de faire demi-tour. La femme poursuivit son chemin. Fahey cria dans les rafales de vent et réitéra plusieurs fois le même geste. La marcheuse continua d'avancer vers lui d'un pas chancelant, et vers les nids fragiles qui abritaient des oeufs plus fragiles encore. Les pluviers s'élevèrent au-dessus des dunes puis se laissèrent tomber à l'unisson, piquant droit sur la femme. Il est de la nature de ces oiseaux de déféquer sur les prédateurs qui approchent. La femme leva les bras et se mit à courir, toujours dans la direction de Fahey. Celui-ci jura, et se précipita sur son pick-up pour fouiller l'espace étroit entre le siège et le fond de la cabine, se cognant la main contre le montant de la portière assez fort pour s'arracher un lambeau de peau sur ses jointures. Il réussit cependant à extirper le fusil à pompe à canon scié qu'il rangeait là, puis pointa l'arme vers la ligne où la mer rencontre le ciel et tira.
La détonation parut attirer l'attention de la femme. Elle tomba à genoux, les mains sur les oreilles, puis se releva et rebroussa chemin pour dispara?tre dans les dunes. Fahey resta un instant immobile, la respiration sifflante. Il n'avait pas tenu d'arme depuis un bout de temps et il se rendait compte que le fait de tirer n'avait pas arrangé son état général. Le creux de sa poitrine était secoué par les battements arythmiques de son coeur tandis que les pluviers, complètement affolés par le coup de fusil, tournaient en cercles encore plus larges au-dessus de la plage, pourrissant le matin de leurs cris horribles.
Fahey s'essuya le front sur la manche de sa chemise, puis se baissa pour récupérer la cartouche vide et fut surpris de la voir s'éloigner dans un tourbillon d'écume blanche. Il lui courut après et l'arracha au reflux pour la fourrer, toute dégoulinante d'eau, dans la poche de sa chemise. Puis il se redressa et contempla les déferlantes, cherchant à établir les phases de la lune et les marées qui en découlaient, ce qui le renvoya à une époque où il n'aurait pas eu à se poser ce genre de question parce qu'il aurait connu par coeur, comme une évidence, chaque marée et ses coefficients. Et, pendant un instant fugitif, tandis que la mer s'infiltrait dans ses chaussettes,ray ban pas cher, l'arme pendant mollement au creux de son bras, Fahey fut complètement transporté. et vit le gar?on de 15 ans à peine accroupi au pied de ces mêmes dunes, et le vieux natif des Badlands du Dakota juste à c?té de lui, les planches de surf telles des idoles de bois ou de fibre de verre dressées devant eux, leur tail block enfoncé dans le même sable sur lequel Fahey se tenait à présent. Le gosse regardait le vieux agiter en direction de la mer une baguette qui semblait le prolongement d'un bras noueux et musclé, br?lé par le soleil, puis tracer dans le sable le chemin qu'ils suivraient, la fa?on dont ils se placeraient pour évoluer parmi les sommets mouvants qui s'étiraient à l'infini vers l'océan, la crête des vagues se couvrant de langues de feu tandis qu'une brume de rebords empennés fuyait devant la lumière d'une aurore naissante. Cela se passait à une époque où la lumière était encore pure, avant le brouillard pollué, avant la barrière au coeur de la vallée, avant que ce ne soit la merde complète.
A ce moment retentit un faible cri en provenance des dunes où l'intruse avait disparu, et le présent s'imposa à nouveau à Fahey dans toute sa clarté. Il leva son arme et s'avan?a dans le sable sec pour jeter un coup d'oeil sur les replis d'une dune. Fahey avait en général pour philosophie de ne pas s'occuper des clandestins qu'il lui arrivait de croiser, et il était à présent tenté de suivre cette ligne de conduite. Il voyait cela un peu comme la Directive Première des épisodes d'origine de Star Trek qu'il regardait quand il était enfant. Les formes de vie extraterrestres étaient tout simplement trop étrangères pour être parfaitement connues. Interférer dans leur développement serait revenu à induire des conséquences obligatoirement imprévues qui auraient toutes les chances de s'avérer désastreuses. La Directive Première lui dictait maintenant de retourner à son pick-up et de partir. Fahey resta là où il était. Il n'aurait su expliquer pourquoi. Une image s'imposa alors à son esprit - celle d'une jeune femme frêle, l'idée qu'il se faisait de l'Apocalypse, un bras gracieux levé au-dessus de haillons en ce qui ne pouvait être interprété que comme un geste de supplication. Les clandestins s'enfuyaient le plus souvent à l'approche des Américains, surtout quand ils portaient un uniforme. Celle-ci avait essayé d'attirer son attention, et il revit la masse de cheveux soulevée par le vent, aussi noire qu'une aile d'oiseau. Il fouilla du regard les dunes où elle avait disparu et qui,ray ban, dans cette portion de sable d'à peine cinq kilomètres qui séparait Las Playas de Tijuana de la ville d'Imperial Beach, n'étaient pas très élevées. Mais il ne vit pas d'autre signe de l'intruse. Mis à par le fracas des vagues et les cris des oiseaux qui continuaient de tournoyer dans le ciel, la plage était silencieuse.
Curieux, pensa-t-il, que les oiseaux ne soient pas encore retournés à leurs nids, comme s'ils percevaient un nouveau danger imminent. Fahey scruta la plage au nord et au sud, sans rien trouver. Peut-être était-ce sa présence qui dérangeait les oiseaux.
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